Le consommateur recherche une cosmétique plus naturelle et éthique. Et les fabricants doivent suivre une tendance qui se pérennise, en ayant une vision globale et éco-responsable. La chimie verte est-elle le virage incontournable de l’industrie de la beauté et de la santé ? Dans une société où bien-être, forme et beauté ne font plus qu’un, où le développement durable n’est plus une tendance mais une nécessité pour préserver la planète, la nature et donc l’humanité, les chimistes deviennent avides de naturalité.
Naturel ou bio, même combat ?
Allons-nous arriver au tout bio dans l’industrie de la cosmétique ? Ce serait difficile de dire oui aujourd’hui. Le naturel qui a toujours existé dans le secteur profite des avancées de la chimie végétale et des biotechnologiques pour affiner ses formules, ses procédés et réduire l’impact de la chimie sur les ressources fossiles. Ces procédés « plus verts » intègrent des ingrédients d’origine végétale et des techniques de formulation nécessitant moins d’énergie avec des excipients et des ingrédients pour un produit fini estampillé écologique (Ecocert).
Stéphane Sarrade,directeur de recherche, chef du département de physico-chimie du CEA, nous indique qu’« il faut privilégier les ressources naturelles en valorisant l’utilisation d’ingrédients issus de l’agriculture biologique puisque le respect de l’environnement et la réduction des emballages sont nécessaires aujourd’hui. Mais attention toutes les substances végétales ne sont pas inoffensives… exemple, les huiles essentielles. L’utilisation de matières premières issues du végétal peuvent représenter un élément marketing vis-à-vis des consommateurs mais l’origine des ingrédients ne suffit pas pour vendre un produit cosmétique performant ».
La performance d’un produit impose bien plus de critères aujourd’hui qu’hier d’après la législation REACH* comme : l’utilisation de matières premières renouvelables, la nature des plantes pour l’élaboration des substances, la provenance des matières premières, leur empreinte carbone ainsi que la quantité d’eau utilisée dans la fabrication. Malgré le développement important de formules et d’ingrédientsissus du végétal, certains produits cosmétiques ne pourront pas devenir à 100 % végétal. Ou alors difficilement et au prix d’une diminution des performances et de l’efficacité du produit. « Dans les produits solaires, on ne trouve pas encore de soin à 100 % végétal dont la protection soit véritablement efficace », note Chantal Amalric, directrice marketing de la division Cosmétique de Seppicqui cite également les produits capillaires pour lesquels « il n’existe pas d’agents conditionneurs ‘verts’ efficaces à ce jour. Il est très difficile de trouver des conservateurs ‘naturels’ et de se passer de silicones dans certains mascaras waterproof. Et pour les vernis à ongles, il n’y a pas aujourd’hui de possibilité pour avoir un sourcing végétal uniquement ».
Le boom de la chimie verte
Nous sommes de plus en plus conscients de l’impact de la chimie sur l’environnement (pollution, épuisement des ressources renouvelables) et de la nécessité de la contrôler. Elle fait partie inhérente de diverses industries dont la cosmétique ou la pharmacie. Et les nombreuses controverses sur différents ingrédients amène une certaine exigence du consommateur sur des produits plus « secure ». D’où l’intérêt grandissant pour la chimie verte dont le marché est estimé à plus de 300 milliards dans le monde d’ici 2020. Ce secteur, attractif non seulement en terme de recherche et d’innovation, l’est aussi parce qu’il apporte à la cosmétique et à bien d’autres industries (agroalimentaire, automobile, etc.) une croissance supérieure à leur secteur originel, plus conventionnel, en plus d’être générateur d’emplois. Actuellement la chimie génère 25 000 emplois en France, ce sera plus de 40 000 emplois dans les cinq prochaines années, selon l’Ademe*.La chimie verte amène une vraie dynamique en cosmétique depuis les années 2000 en adéquation avec la nouvelle législation du règlement européen (REACH) qui demande une traçabilité des principes actifs.Des réseaux comme le réseau français Increase® (CNRS) – à visée internationale – s’emploie à valoriser la technologie de la biomasse (ressource renouvelable) dans l’industrie et montre qu’elle a plus d’intérêt aujourd’hui que le pétrole et ses dérivés. D’ailleurs, de nombreuses entreprises font ce virage du naturel. (Sanofi, L’Oréal, P&G, Unilever, Danone, Nestlé)
L’avenir de la biotechnologie industrielle en cosmétique
La chimie végétale offre de grandes perspectives en terme d’innovation. Des conservateurs dérivés de plantes comme la Gaulthérie contiennent de l’acide salicylique qui peut remplacer les parabènes. On a des substituts d’origine végétale aux silicones et des molécules issues des algues rouges s’avèrent être de bons filtres solaires naturels. Aujourd’hui, des études sont faites sur des dérivés végétaux capables d’inhiber ou de bloquer l’action des allergènes notamment dans les parfums. On peut reproduire des procédés de certains microorganismes qui fabriquent des pigments qui seront sans doute les colorants de demain. Des colorants qui seront renouvelables et biodégradables qu’on utilisera pour la coloration capillaire ou le maquillage. Actuellement, près de 1000 plantes sont utilisées en cosmétique alors qu’il existe plus de 300 000 espèces végétales sur la planète. L’avenir semble donc radieux pour le secteur de la chimie verte avec des perspectives encore sous-exploitées à ce jour. Selon l’OCDE, les ventes de composés issus de la chimie biosourcéeseront d’environ 340 milliards pour le secteur de la biotechnologie industrielle.
L’algue : le nouveau filon
La chimie verte connaît un essor qui s’explique par le fait qu’elle utilise des procédés qui peuvent se révéler plus rentables économiquement que l’industrie du pétrole. Le boom du secteur desmicro et macro-algues donne de belles perspectives à des composés chimiques plus « verts » utilisés en pharmacie (médicaments), en cosmétique ou dans l’alimentaire. Les microalgues peuvent produire deslipides, des hydrocarbures, des alcools, des esthers, des biopolymères, qui constituent un réservoir intéressant de nouvelles structures moléculaires. Leur action est à la fois hydratante, anti-oxydante, photo protectrice et antibactérienne. Chaque type d’algue (rouge, brune, verte) possède des qualités organoleptiques et des propriétés intéressantes en cosmétique pour chaque partie du corps (régénération, antioxydation, hydratation, éclat du teint, coloration, filtres solaires, amincissement, drainage, etc.).Dans les prochaines années,nous sommes garantis de retrouver l’algue sous toutes ses formes dans beaucoup de produits.
Les substances de la chimie biosourcée
Des substances autres que les algues font une entrée durable dans ce secteur et sont des sources de biomasse comme les oléoprotéagineux (colza), les plantes amidonnières (maïs, blé), les plantes à fibres (lin, chanvre), les plantes herbacées… Elles servent à la production de molécules chimiques très utilisées en cosmétique et dans l’hygiène (tensioactifs, solvants, lubrifiants). Les cellules souches végétales sont aussi à suivre de près. Extraites de bourgeonsou de bouts de racine, ce sont des parties très riches en vitamines et en éléments minéraux. Les cellules sont gardées intactes pour en extraire des molécules antioxydantes puissantes, 10 à 100 fois plus puissantes que les extraits de plantes « simples ». L’extraction et la reproduction de ces cellules végétales permettentaussi d’utiliser des plantes rares tout en préservant la biodiversité.
Aujourd’hui, les contraintes technologiques, environnementales et les demandes des consommateurs contraignent les industriels à développer des biopolymères du monde végétal ou marin, biodégradables et biocompatibles, qui permettent de réduire ou d’éliminer l’utilisation de substances nocives. Très utilisés dans l’industrie cosmétique, ces polymères apportent des propriétés nécessaires à tout produit de beauté (filmogène, hydratant, gélifiant, épaississant, émollient, etc.).
La chimie verte est une tendance de fond qui croît chez le consommateur qui recherche des produits « secure », éco-responsables, issus du commerce équitable et de l’agriculture biologique. Cette chimie alliée à la biotechnologie, a vu ces dernières années de grandes innovations qui influencent profondément les industries conventionnelles dans différents secteurs (la cosmétique, l’agroalimentaire, l’automobile, l’habitation, la pharmacie, etc.). Elle ouvre de nouvelles voies de compétitivité dans l’industrie tout en répondant aux nouvelles exigences de sécurité, de préservation de l’environnement et aux demandes mondiales de consommation.
Leslie Carombo
* ADEME : agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’Énergie * REACH est un règlement de l’Union européenne * INCREASE : réseau collaboratif dédié à l’éco-conception et aux ressources renouvelables pour l’industrie de la chimie crée par le CNRS