L’offre ethno-cosmétique n’est pas très riche en pharmacie mais elle a le mérite d’exister depuis plus de 25 ans. Une offre timide,  souvent due aux freins du pharmacien alors que les marques plébiscitent ce réseau de distribution pour son gage de sécurité. Le secteur de la pharmacie/parapharmacie peut-il continuer à ignorer une clientèle férue de cosmétique et en attente de conseil alors que les autres réseaux diversifient leur offre pour les consommateurs à la peau mate à foncée.

Histoire de l’ethno-cosmétique en pharmacie.
Fin des années 80 et début 90, trois marques emblématiques américaines  (Flori Roberts, FashionFair et Naomi Simscosmetics) décident de s’implanter sur le marché français et choisissent comme réseau privilégié la pharmacie. Toutes ces marques étaient dédiées au maquillage des peaux noires et métissées avant que la marque Naomi Sims ne développe des produits de soin de la peau. A partir de 1992 des marques françaises (Agnès de Bucy, Kanellia, HT26, Crisver) s’attaquent à ce marché toujours en privilégiant leur implantation en pharmacie et parapharmacie avec des gammes de soin, du capillaire ou du maquillage. L’offre se diversifie alors…

Les années 90 et 2000 ont permis de montrer le potentiel de ces marques aux pharmaciens qui ont tenté l’aventure de l’offre ethnique. La difficulté première de toutes ces marques étaient les a priori : « A l’époque, beaucoup de mes collègues pensaient que ces marques attireraient une clientèle sans pouvoir d’achat ou engendreraient beaucoup plus de vols dans la pharmacie. Ils pensaient que cette clientèle n’achetait ses produits d’hygiène et de soin que dans des boutiques spécialisées. Beaucoup d’entre nous étions sceptiques sur le potentiel des marques dites ethniques et ne comprenions pas l’intérêt d’avoir des produits dédiés », nous avoue un pharmacien de Montreuil.  A l’époque, les marques ethniques devaient convaincre, démontrer et faire fi des stéréotypes du pharmacien reconnu pour être difficile en affaire. «Il fallait casser des murs d’incompréhension et les a priori », assure Guylaine, ancienne commerciale chez Agnès de Bussy. Certaines marques spécialisées ont pourtant fait de beaux chiffres d’affaires dans ce réseau sélectif à force de promotion, d’animation et d’implication. Des pharmaciens ont même créé leur marque propre dédiée à cette clientèle comme les laboratoires Château Rouge et la marque du même nom en 2001. Malgré la disparition de certaines marques dans le réseau français de la pharmacie, de nouvelles  marques s’implantent depuis plus de 5 ans.

Quelle est l’avancée de cette offre spécialisée en pharmacie et parapharmacie ?

La beauté plurielle : le potentiel d’une offre nouvelle.
La diversité des beautés colorées (Maghreb, Inde, Caraïbe, Afrique, Asie du sud-est) et tous leurs métissages intéressent le monde de la cosmétique aujourd’hui. Ces clientes aux besoins divers voient le statut et le conseil du pharmacien comme essentiels. Mais le pharmacien a-t’il compris le potentiel de croissance qu’amène une clientèle ethnique ?
Car les clientes noires et métissées dépensent 5 fois plus en soin et hygiène, 9 fois plus en capillaire, et 7 fois plus en maquillage que les Caucasiennes. (Source L’Oréal 2010)

La pharmacie de demain peut-elle continuer à ignorer le marché de l’ethno-cosmétique dont le CA est de plus de 50 millions d’euros par an et qui va aller en grandissant. Le bémol, l’impossibilité jusqu’alors de faire des statistiques ethniques qui permettraient de quantifier la grandeur du potentiel de ce marché encore trop limité en France dans chaque réseau de distribution. Mais il est évident vu le nouvel intérêt des majors de la cosmétique que ce marché grandira en France, et s’exportera. C’est pourquoi aujourd’hui marques et distributeurs s’intéressent de plus près aux consommateurs à la peau mate, foncée et au cheveu frisé et crépu. En pharmacie, le groupe Alès a créé Phytospecific® en 1998, marque  emblématique spécialisée pour les cheveux frisés et crépus. Elle diversifie son offre depuis quelques années avec un traitement anti-taches brunes. Klorane ajoute sa pierre à l’édifice avec sa nouvelle gamme à l’huile d’Abyssinie. Une ligne courte de 4 références à destination des cheveux crépus, frisés ou défrisés avec un masque ultra-nutritif, produit phare de la gamme en pharmacie. Le groupe Pierre Fabre a pris des initiatives en ethno-cosmétique avec des expériences plus ou moins fructueuses (disparition des teintes peaux noires de la gamme de maquillage dermocosmétique d’Avène, Couvrance). Mais cela prouve que les majors de la pharmacie s’ouvrent à une offre plus en adéquation avec la population dans son ensemble.

La cliente mate à foncée est sur-consommatrice de beauté (question culturelle), tous réseaux de distribution confondus – 88% des femmes à peau noire et métissées utilisent des produits de beauté contre 63% en moyenne nationale – on ne peut donc plus négliger des clients dont le pouvoir d’achat  est conséquent et qui trouvent dans la pharmacie et la parapharmacie un environnement de confiance. Considéré encore comme une offre de niche en pharmacie, il est intéressant de comprendre ce qui se cache derrière les marques spécialisées, et qu’est-ce qu’elles peuvent apporter comme plus-value au réseau sélectif  de la pharmacie/parapharmacie.

Les besoins de la cliente à peau colorée.
Bien que les consommateurs à la peau mate à foncée n’aient pas de différence dans la structure de leur peau face aux Caucasiens, celle-ci a tout de même quelques spécificités qui méritent une galénique produit particulière et des concentrations d’actifs nécessaires à la pénétration et l’efficacité des produits sur leur peau.

  • La couche cornée est plus dense et compacte
  • La peau est hypersensible et réactive
  • Propension à des troubles pigmentaires visage et corps importants
  • Déshydratation accentuée en milieu tempéré
  • Hyperséborrhée et acné tardive
  • Ph cutané légèrement plus acide
  • Hyperkératose, chéloïdes, folliculites pour les hommes
  • Vieillissement ralenti

Type de peau visage (mixte à gras) et corps (sec) différent

Quant au cheveu,  sa structure est très différente du cheveu Caucasien ou Asiatique : sa pousse est hélicoïdale, il est sec, cassant, fragile et souvent très déshydraté. Il mérite donc des soins très concentrés en actifs nourrissants, hydratants, fortifiants et protecteurs. Ainsi que des produits de lavage, de coiffage et d’entretien doux et adaptés à toutes ses spécificités.

L’avantage de certaines marques spécialisées c’est qu’elles ont une certaine expertise des peaux mates et foncées  de par l’origine de leurs fondateurs ou leurs  affinités et connaissances sur les problématiques des peaux pigmentées. Mais cela ne retire en rien une meilleure connaissance et une expertise en devenir pour les marques généralistes qui s’intéressent de plus près aujourd’hui aux problématiques des peaux ethniques.

Focus sur les marques ethno-cosmétiques

  • Phytospécific: l’expert de la cosmétique végétale

La marque ethnique des laboratoires Phytosolba, pionnier de la technologie végétale est une référence en pharmacie pour les soins capillaires haut de gamme des cheveux frisés à crépus. Les produits Phytospecific® ont des formules innovantes basées sur une nouvelle génération de traitements capillaires et dermocosmétiques. Une marque qui possède aujourd’hui 26 produits essentiellement pour le cheveu et un produit antitache pour la peau.

  • In’Oya: la recherche dermocosmétique au service des peaux pigmentées

Marque spécialisée possédant plusieurs brevets sur la formulation de leurs produits et plébiscitée par des dermatologues. In’Oya® existe depuis 2011. Très orientée recherche et innovation, la marque a pour crédo le traitement de toutes les problématiques des peaux pigmentées sans effet secondaire et en respectant les génotypes de ces peaux. La marque possède 8 produits de soin peau axés sur leurs problèmes majeurs soit : les troubles pigmentaires, les peaux mixtes et grasses à imperfections en respectant leur hyper sensibilité et leurs problèmes de boutons ou de déshydratation. Leur gamme phare antitache Mel’Oya® est plébiscitée et depuis octobre 2015 la sortie de Acn’Oya® s’annonce prometteuse.

  • Nuhanciam : la cosmétique de l’éclat du teint et de l’anti tache

Marque spécialisée existant depuis 2011, Nuhanciam® accentue sa recherche sur les besoins particuliers des peaux mates à foncées avec des produits en adéquation avec une approche scientifique et une grande efficacité liées à la sécurité de leurs produits. La marque et sa cosmétique plaisir s’adresse aux phototypes 3 à 6 avec des textures et des parfums adaptés qui répondent aux spécificités et exigences de ces peaux. Le produit star : le sérum anti tache.

  • Amétis: la marque naturelle issue de rituels ancestraux

La marque a dix ans d’expérience sur l’éclat, l’équilibre, l’hydratation et la réparation de toutes les peaux mates à foncées. Une marque de produits d’origine naturelle basée sur des recettes ancestrales venues du Tchad dont est originaire la fondatrice Marie Paget. Amétis® répond aux standards de la cosmétique. Ses produits phares : la crème blanche anti-tache Biowhite, le sérum correcteur clarté et le lait corps éclat. Et de nouveaux projets sur des soins capillaires, du maquillage et sur un nouveau concept institut spa Amétis®.

  • Biolissime: des actifs naturels au service des peaux noires

Née en 2010, la marque commence doucement à s’implanter dans quelques pharmacies. Biolissime® est une marque composée de 7 produits de soin et 3 produits capillaires avec comme « best of » le lait velouté unifiant, la crème de jour unifiante et le sérum anti-tache. Une marque qui fait la part belle à des formules aux ingrédients naturels sur un axe antipollution pour traiter tous les problèmes des peaux colorées.

  • Kadalys : la phytothérapie créole issue du bananier

Une gamme de cosmétologie naturelle certifiée bio, issue de la pharmacopée traditionnelle caribéenne avec une recherche scientifique poussée autour du bananier « l’herbe aux mille usages »,  aux propriétés thérapeutiques et cosmétiques uniques. Kadalys® est axée sur la beauté et la jeunesse de la peau avec 4 gammes et 15 produits (Musaclean®, Musalift®, Musalis®, Plaisir & soins pour les cheveux et le corps).

  • Néoclaim: le petit nouveau, expert des peaux « denses »

Le petit dernier des marques spécialisées. Une gamme qui a de l’ambition en sortant 9 produits avec une ligne pour homme et une pour femme (printemps 2015). Néoclaim® a des formules avec des ingrédients  et des textures innovants pour une marque dédiée.  A surveiller…

Mais la liste est loin d’être exhaustive…

La plupart des marques ethno-cosmétiques distribuées en pharmacie sont axées sur le soin, peu développent le capillaire, le bébé (ex : Aunéa), l’homme, le bio ou le maquillage comme il y a 20 ans ; alors que ce sont des offres qui intéressent les clientes à la peau noire et métissée. Mais restons optimistes, de nouvelles marques dédiées voient le jour et s’intéressent à ces offres délaissées jusqu’alors (Néoclaim®, SJR®, HapsatouSy®, Zawadi®…).

Comment vendre de l’ethno-cosmétique  en pharmacie ?
La pharmacie a un potentiel indéniable dans la vente de produits dédiés. Les marques ethniques ou généralistes qui ont une offre ethnique et les pharmacies/parapharmacies doivent jouer un jeu « gagnant-gagnant »

Les marques doivent former les pharmaciens et leurs équipes aux besoins  et spécificités de ces peaux au-delà d’une formation produit. Et faire des animations et des promotions pour optimiser les ventes voire challenger les équipes. « Face à un monde de la pharmacie qui évolue rapidement, implanter une gamme ethnique permet aux pharmaciens d’augmenter significativement leur chiffre d’affaires sans cannibaliser une offre qui existe déjà en officine. Former leurs équipes aux spécificités de ces peaux, leur permet de ne plus ignorer les besoins de 5 à 10% de leur clientèle », nous confie Abd Haq Bengeloune, un des fondateurs de la marque In’Oya.

Pour Muriel Berradia et Jocelyn Bariteau fondateurs de Nuhanciam « La formation des équipes officinales sur les produits et sur les problématiques des peaux mates à foncées est essentielle pour que le conseil soit le plus précis possible ; nous avons donc une politique de formation suivie et continue. Nous animons les points de vente régulièrement, nos animations sont annoncées bien en amont  dans les points de vente, sur notre site et sur Facebook, ce qui est un accélérateur de fréquentation pour l’officine. La marque est très prisée des blogueuses, des magazines féminins et portée par une communauté de clientes online. Et elle répond aux commandes sous 48h. »

Les pharmaciens doivent quant à eux mettre plus en avant les marques dédiées qui se retrouvent trop souvent encore en tiroir, amassant la poussière ou dont le merchandising, la visibilité ou le conseil sont quasi inexistants. C’est évident pour tous qu’un produit méconnu et caché ne peut être vendu, ni conseillé !

Aujourd’hui, le pharmacien qui diversifie son offre et s’intéresse aux problématiques  de peau ou de cheveu de cette clientèle optimise sa stratégie globale, et potentialise le développement de son chiffre d’affaires. Car il reste un interlocuteur privilégié et rassurant pour « les consommateurs ethniques qui recherchent des produits efficaces et respectueux de la peau ».

« Chez IN’OYA nous anticipons l’évolution du réseau pharmacie et parapharmacie  en pariant sur la révolution numérique : ainsi, nous sommes en train de développer pour nos pharmaciens partenaires des aides au diagnostic téléchargeables sur IPhone, téléphones Android ou directement sur PC avec une jeune start-up innovante. Cette application sera un véritable outil de diagnostic qui permettra d’aider le pharmacien à diagnostiquer rapidement les problématiques de la cliientèle noire, mate et métissée et leur proposera un ensemble de protocoles de nos produits disponibles en officine qui sont testés, éprouvés et validés par notre équipe de recherche et développement. Et cela en partenariat avec des dermatologues avec qui notre marque collabore », nous confie Abd Haq Bengeloune de In’Oya®.

Vision : vers une autre pharmacie/ parapharmacie.

La distribution de marques ethno-cosmétiques ou de gammes généralistes dédiées à cette clientèle se diversifie timidement encore dans le réseau français de la pharmacie. Et le beau développement de certaines marques spécialisées nous amène à réfléchir sur le relais de croissance qu’apporterait cette offre pour les pharmaciens. Car certaines marques d’ethno-cosmétique s’exportent bien comme Amétis® qui est dans le réseau pharmacie en Outre-mer, en Afrique et au Moyen-Orient. In’Oya® qui a un réseau de 1000 pharmacies entre la France, les Dom-Tom et l’Afrique. Nuhanciam®, quant à elle, a plus de 200 pharmacies en France et se développe dans une dizaine de pays à l’International.

D’une seule voix les marques dédiées vendues dans le réseau le plébiscite pour son adéquation avec leur approche scientifique, l’efficacité des produits liée à la sécurité et le gage de confiance des clients pour ce réseau.

Par conséquent, la pharmacie/parapharmacie de demain qui est en pleine mutation (pharmacie online, nouveau design, offre diversifiée de services, marque propre, etc.) ne peut ignorer ou négliger une offre ethnique si elle pense stratégie globale, avec des offres spécialisées  qui répondraient aux besoins et attentes de toute leur clientèle. Il y a aujourd’hui des prémices dans ce sens tant en offre, qu’en merchandising et en communication pour une nouvelle génération de pharmacies qui correspond à une nouvelle ère du secteur. Les marques spécialisées distribuées en pharmacie se lancent aussi dans une professionnalisation du marché de l’ethno-cosmétique en ayant une caution médicale et en diversifiant leur offre auprès des prescripteurs (pharmaciens, dermatologues) en France et à l’International.

Pour les marques généralistes qui font des produits dédiés et qui plébiscitent également le réseau, de grands pas restent à faire tant dans l’offre que dans la communication auprès des pharmaciens et des consommateurs. Gageons que dans les années à venir, les choses changent…

Par Leslie Carombo